Du café à impact positif : rencontre avec Chacun Son Café !

Margaux Roux, Directrice Associée chez Chacun Son Café, a accepté de répondre à nos questions et nous parle des valeurs et ambitions de l'entreprise !


Bonjour Margaux, quelle est la mission de Chacun Son Café au quotidien ?

Nous faisons partie de la première vague des entreprises à impact. Dès 2005, nous avons proposé des machines à grains aux entreprises pour une sortie des capsules par le haut, et offrir un café plus qualitatif, plus authentique, avec une empreinte environnementale incomparable.

Aujourd’hui, notre mission se poursuit en faisant du café un levier de réponse au défi climat et social, deux sujets interdépendants.

 

© Chacun Son Café

 

Comme Akagreen, Chacun Son Café est certifiée B Corp. Comment s’est construit votre parcours en tant qu’entreprise à impact ?

Nous avons l’engagement dans l’ADN depuis notre création en 2005 en opposition aux capsules, très polluantes et pas ou très peu recyclées, et cela fait plus de 15 ans que nous proposons des solutions café alternatives, toujours à base de grains éthiquement sourcés, traçables et cultivés de façon durable.

Au tout début, nous étions à contre-courant. Il fallait évangéliser le marché, en expliquant au consommateur qu’il fallait revenir au café “de nos grand-mères” avec une différence : l’usage des machines automatiques à grains qui devenaient accessibles. Nous sommes alors devenus le chef de fil de ce mouvement anti-capsule, maintenant largement répandu. Nous avons d’ailleurs largement contribué à militer contre les produits à usage unique. Le hashtag #IAmACapsuleKiller que nous avons créé a fait l’objet d’une vraie réappropriation et de rediffusion par d’autres torréfacteurs et consommateurs militants sur les réseaux sociaux. 

 

© Chacun Son Café

Je crois qu’un vrai virage s’est fait. Si tout le monde n’a pas encore cessé l’usage des capsules, une majorité a compris qu’il s'agit d’un mode de consommation qui appartient au passé, parce qu’il n’est tenable ni environnementalement ni politiquement pour une entreprise. D’autres fournisseurs de solutions café ont maintenant pris le relais sur le sujet. Nous regardons cela avec amusement et en même temps, c’est une certaine fierté de se dire que nous avons été les premiers ! Mais nous sommes résolument tournés vers l’avenir, alors nous avançons sur des nouveaux enjeux avec plus d’ambition. 

Nous avons notamment innové en créant un modèle économique qui implique nos clients dans un dispositif qui permet le financement d’actions concrètes à très fort impact dans les régions de culture de café.

 

Peux-tu nous en dire plus sur ce modèle économique et ces nouvelles ambitions ?

Notre rôle est d'entraîner les grandes entreprises - pour le moment françaises - dans le financement d’un programme de transformation sociale et agricole des zones rurales de culture du café : TERRA NOUN PROJECT. Et cela se fait avec notre modèle ONE CUP ONE CENT : chaque fois qu’un collaborateur consomme un café, il contribue à hauteur de 1 centime d’euros dans cette aventure de transformation.

Il faut savoir que la valeur finale de café contenue dans une tasse est de 18 centimes. La contribution de 1 centime représente donc plus de 5,5% du chiffre d’affaires, ce qui associe les communautés de cultivateurs à la valeur ajoutée finale du produit là où il est consommé.

 

© Chacun Son Café

Cette dimension est très importante. Les collaborateurs se réapproprient leur contribution, ce qui donne encore plus de saveur à leur tasse de café. Il y a un rapport qui se crée entre ces populations et nos clients, et ça c’est pour nous une grande réussite. Il ne s’agit pas d'aide mais de commercer avec le “Sud” de façon tout simplement plus juste, et je crois pouvoir dire en redonnant du sens au mot “équitable”. Nous faisons tout simplement du commerce ensemble, il s’agit d’un modèle inclusif.

Tout le monde en sort très largement gagnant : les consommateurs, les fermiers, le climat et la biodiversité. D’ailleurs, nous comptons plusieurs grands groupes parmi nos clients qui ont très bien compris notre démarche et nous soutiennent, comme LVMH, Edenred ou encore les grands groupes du monde mutualiste comme la Maif.

 

Pourquoi est-ce important d’intervenir dans les régions de culture de café ? 

Les meilleurs cafés poussent en altitude dans les zones de forêts tropicales millénaires qui sont à la fois les plus importants puits de carbone de la planète et des zones de concentration de la biodiversité.

La région où nous agissons actuellement avec TERRA NOUN PROJECT, le bassin du Congo au Cameroun, est le premier poumon vert de la planète. Elle ne compte pas moins de 300 espèces de mammifères, 10% de la biodiversité mondiale dont 30% endémique qu’il faut impérativement protéger. Mais c’est en même temps des zones de grande pauvreté, où les tensions alimentaires commencent à vraiment se faire sentir. Cela se traduit par des exodes ruraux vers les bidonvilles des métropoles avoisinantes.

 

© Chacun Son Café

Donc tout ce dont nous ne voulons pas va finir par arriver : flux migratoires, natalité exponentielle, destruction des forêts primaires et de leur biodiversité... pourtant des solutions existent et il est parfaitement possible de changer cette trajectoire.

 

Effectivement, du zéro déchet à la transformation des modèles agricoles, il y a eu un grand pas !

Oui, nous avons considérablement avancé depuis nos débuts. Aujourd'hui, tout d’abord, nous sommes devenus la première B Corp française de la filière du café. En soit, ça ne produit rien, ce n’est que la traduction d’un engagement.

Et surtout, Chacun Son Café s’est développé comme une entreprise à deux têtes : d’un côté nous développons un savoir-faire autour d’un service aux entreprises pour leur fournir le meilleur café possible, au coût et à l’empreinte environnementale la plus basse possible; et de l’autre nous avons un savoir-faire de financement et de transformation sociétale, c'est-à-dire agricole, mais aussi autour de l'émancipation financière des populations rurales.

En fait, on associe activité commerciale et action qui s'apparente à celle d'une ONG, les deux reliées par notre modèle économique qui permet le financement. Cette façon d’associer les deux est peut-être un modèle du futur, c’est d’ailleurs celui valorisé par B Corp : réunir profit et bien commun.

 

Quel rôle joue Chacun Son Café sur le terrain ?

Notre rôle est de fédérer les fermiers des petites exploitations. Pour cela, nous créons une coopérative que nous dotons de garanties d’achat du café à des tarifs rentables avec des systèmes de primes :

  • à la plantation d’arbres qui, une fois adultes, seront des puits de carbone,
  • à la plantation diversifiée régénératrice de la biodiversité
  • à la scolarité : une partie des bénéfices est utilisée pour créer une bourse aux livres, financer des cours de soutien, etc.

 

© Chacun Son Café

À partir de là, tout se met naturellement en place même si cela prend évidemment un peu de temps. Il faut comprendre que nous sommes liés au rythme des saisons. Les arbres poussent à leur vitesse, c’est aussi ça qui fait de la reforestation une course, et nous ne rattraperons jamais le temps perdu. C'est une illusion de penser l’inverse et pour le moment les meilleurs puits de carbone terrestre restent nos forêts tropicales millénaires.

 

Quelle est votre prochaine étape ?

Nous voulons accélérer cette transformation à travers trois leviers :

  • l’acquisition de nouveaux clients : il faut que nous ayons plus de grands groupes qui rejoignent le programme, car ce sont eux qui ont le plus grand nombre de salariés et qui nous permettraient d’avoir l’impact le plus important.
  • la création de nouveaux débouchés commerciaux : la préservation de la biodiversité est un challenge permanent qui exige de planter de façon diversifiée. Mais s’il n’y pas de débouchés commerciaux, alors il n’y a pas de viabilité. Nous mobilisons d’autres acteurs pour créer des filières agricoles complémentaires au café. Exemple : le Cameroun produit parmi les meilleures mangues du monde et le café pousse protégé par les manguiers. Nous sommes en discussion avec des artisans de jus de fruits pour créer cette nouvelle filière.

 

© Chacun Son Café

  • l’accès aux aides internationales : il faut que nous aidions à mieux flécher les aides internationales vers l’agriculture d'agroforesterie, que nous développons, pour qu'elle se diffuse à plus grande échelle. Nous avons prouvé que notre modèle était pertinent, qu’il transformait à la fois la vie des gens tout en permettant de développer la biodiversité et les forêts primaires. Nous souhaitons dupliquer ce modèle dans d’autres zones géographiques à protéger et où les tensions alimentaires se font sentir. Croyez-moi, ça ne manque malheureusement pas. Mais j'insiste, il ne s’agit pas d’aider mais de créer un autre rapport aux échanges commerciaux entre les pays développés et les pays en voie de développement.

 

Ce dernier point s’apparente en effet davantage à l’action d’une ONG. Pourquoi c’est important ? 

Dans tous les pays développés, l’agriculture est subventionnée, mais cette action est limitée aux frontières de la zone en question. Pourtant, les exploitations qui occupent les zones rurales tropicales nous nourrissent aussi, et ce sont d’elles dont dépend la survie du patrimoine naturel mondial de l’humanité.

Or, elles sont souvent en difficulté : ce sont des fermes familiales qui ont moins de 2,2 hectares de surface d’exploitation, situées dans des zones rurales extrêmement isolées, escarpées, difficiles d'accès, dont bon nombre de leurs propriétaires ne savent ni lire ni écrire, d’où la grande difficulté.

 

© Chacun Son Café

Nous trouvons légitime qu’elles puissent bénéficier des subventions internationales au même titre qu’un agriculteur européen à la PAC, d’autant que l’agriculture biologique d'aujourd'hui n’a rien à voir avec celle d'il y a 50 ans. Il est aujourd’hui possible d'obtenir des rendements très importants en pleine forêt, mais cela exige le développement et l’accès aux nouvelles technologies. Pour cela, il faut des moyens.

 

Quel est ton rôle au sein de Chacun Son Café et de cette large mission ? 

Je suis Directrice Associée chez Chacun Son Café aux côtés de Marc Gusils, son Président. Mon rôle est d’informer - un terme que nous préférons à celui de “communiquer” - alors que nous devons réduire notre empreinte carbone, participer au débat public et faire avancer les esprits, notamment chez nos clients.

 

© Chacun Son Café

Il y a aujourd’hui un vrai paradoxe : nous souhaitons préserver nos ressources naturelles parce que nous considérons qu’il s’agit d’un patrimoine commun, mais que faisons-nous réellement ? Il ne suffit pas d'aller sur un réseau social et de dire que ce qui se passe n'est pas bien. Le seul impact que cela a est celui d’utiliser plus d'énergie. Il faut apporter des solutions concrètes et les appliquer à grande échelle.

J’ai donc pour objectif que nos clients puissent se réapproprier la démarche pour vivre l’expérience concrète du changement. Qu’ils prennent conscience qu’il est possible de retrouver une emprise sur ce qui se passe. Il y a aussi dans mon travail un volet institutionnel notamment pour les aides publiques destinées aux agriculteurs. Ce sera le grand chantier 2022, ça doit être ce qu’il me reste de Science Pô !